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Évolutions du régime carcéral en Turquie

Pages de Gauche 179 - 8 avril 2021

 Entretien avec Sarah Caunes et Mustafa Eren

Évolutions du régime carcéral en Turquie.

 Pour en apprendre plus sur le système carcéral en Turquie et son évolution sous le régime d’Erdoğan, Pages de gauche s’est entretenu en ligne avec Mustafa Eren et Sarah Caunes. Mustafa est un réfugié politique en Suisse, ancien président de l’Association de la Société Civile dans le Système Carcéral. Sarah Caunes est Docteure en science politique est a récemment soutenu une thèse sur les reconfigurations du système carcéral en Turquie des années 1980 aux années 2000. L’entretien s’est déroulé en turc et en français. Sarah Caunes traduisant et complétant les propos de Mustafa Eren librement.

Quels sont les chiffres importants du régime carcéral actuel en Turquie ?

 Nous avons estimé à 400'000 le nombre de prisonnières·ers en Turquie en avril 2020 juste avant l’amnistie accordée à 118'000 prisonnières·ers. Le gouvernement a récemment recommencé à publier des chiffres et en février 2021, il recensait 276'438 prisonnières·ers.

Selon nos estimations et nos chiffres, en mars 2020 la population carcérale se répartissait ainsi :

Type de crimes Pourcentage
Drogue 21,6%
Vol 15%
Terrorisme 12,3%
Meurtre 11,3%
Extorsion et pillage 8,9%
Crime organisé 1,3%
Autre 29,6%

Parmi les détenu·e·s qui le sont pour « terrorisme » il y a essentiellement des prisonnières·ers politiques. Surtout des membres du réseau Güllen, du PKK et d’organisations de gauche. Il n’y a qu’une très petite minorité de terroristes de Daech. Si le taux d’emprisonnement a fortement augmenté, c’est car la Turquie utilise l’incarcération comme outil politique essentiel pour contrer et intimider toutes formes d’opposition. Cette criminalisation générale de l’opposition se traduit notamment dans le nombre très grand de procédures judiciaires (plus de 5 millions fin décembre 2020).

Comment le régime d’Erdoğan légitime-t-il le durcissement de la répression ? Et quel rôle a joué la tentative de coup d’État de 2016 ?

 Politiquement, le pouvoir de l’AKP s’est reconsolidé deux fois. La première après 2013 lors du mouvement de manifestations issu de l’opposition au projet de développement urbain du parc Taksim Gezi, puis une deuxième fois en 2016 après la tentative de coup d’État. Ces événements ont permis au pouvoir de jouer la carte de la peur et de dépeindre un État menacé par des ennemi·e·s partout en train de le saper. L’AKP a ainsi réussi à diviser la société en deux camps. Le camp qui soutient l’AKP et les ennemi·e·s de la nation de l’autre.

Par cette stratégie, Erdoğan a créé l’union nationale contre les « ennemi·e·s intérieur·e·s », au premier rang desquels le mouvement kurde et ses soutiens et le HDP. Parallèlement, l’utilisation de la catégorie « d’ennemi·e·s intérieur·e·s » brandie pour décrédibiliser toute forme d’opposition ainsi que les tensions internationales (p.ex avec la Grèce, l’Arménie, l’UE) sont utilisés par le régime pour renforcer le nationalisme et créer du consensus y compris avec des partis censés être d’opposition comme le CHP.

L’un des instruments principaux de la consolidation de l’opinion en faveur du pouvoir est les médias. Par le passé, il y avait différents groupes de presse avec une diversité des positionnements politiques à l’intérieur de la presse bourgeoise et libérale, mais aujourd’hui l’AKP contrôle la presse et les grands groupes médiatiques. La presse d’opposition qui survit encore n’est que peu très marginalement suivie en dehors de son propre public.

Comment la politique carcérale poursuivie par l’AKP a-t-elle évoluée historiquement depuis le début des années 2000?

Après l’arrivée au pouvoir de l’AKP le nombre de prisonnières·ers a été multiplié par 8. L’augmentation du nombre de prisonnières·ers ne s’explique pas par la seule augmentation du nombre de prisonnières·ers politiques. L’augmentation du nombre de prisonnières·ers de droit commun est aussi immense en raison du processus de criminalisation global de franges toujours plus larges de la société.

On peut actuellement parler de politique de prise d’otage de l’appareil judiciaire et pénitentiaire puisque ceux-ci ont été réorganisés aux ordres du pouvoir exécutif. Les changements constitutionnels en cours visent à mettre encore davantage la justice au pas du pouvoir présidentiel. L’AKP a réussi à placer ses pions dans l’ensemble de la magistrature.

 Quelles sont les différentes populations ciblées principalement par le régime ?

Tout·e·s celles et ceux qui s’opposent au régime sont dans le viseur de la répression. Le HDP, parti d’opposition de gauche, pro-kurde est le parti qui est le plus touché par la répression. En dehors de cela, toutes les formes d’oppositions sociales, intellectuelles et politiques sont visées, y compris les gülénistes qui sont pourtant proches idéologiquement du régime. Les minorités kurdes et alévies sont aussi particulièrement ciblées par le régime tout comme l’opposition sociale, les syndicalistes, les universitaires signataires de la pétition dénonçant les exactions commises par l’État au Kurdistan, les journalistes, les étudiant·e·s, les communautés LGBTI et tou·e·s les opposant·e·s de gauche.

Quelle est l’ampleur de l’utilisation de la torture ?

La torture est présente, mais souvent sous des formes « subtiles » qui ne correspondent pas aux représentations courantes et souvent très violentes que l’on s’en fait. Ainsi la torture en Turquie prend souvent la forme d’une systématisation des mauvais traitements, de l’isolement ou de la privation de droit. Par exemple, cela peut consister en un refus à l’accès au soin, ou à surpeupler les cellules, ou aux fouilles à nu lorsque les prisonnières·ers se déplacent au parloir, au tribunal ou à l’hôpital. Cette pratique directement importée d’Europe et des USA est de plus en plus contestée en Turquie. Elle constitue un traitement dégradant flagrant. Dans le même registre des importations européennes problématiques à l’intérieur du système carcéral turc, il faut mentionner la détention en cellule individuelle c’est-à-dire en isolement des prisonnières·ers. La détention en isolement est très éprouvante physiquement et psychologiquement pour les détenu·e·s.

Quelles sont les parallèles entre le régime carcéral et celui des camps de réfugié·e·s en Turquie ? Y a-t-il une criminalisation des réfugié·e·s ?

Les conditions de vie dans les camps de réfugié·e·s en Turquie sont très mauvaises, et mènent parfois les habitant·e·s de ces camps à protester contre ces conditions. Le gouvernement de l’AKP du fait du rôle qu’il essaie de jouer au Moyen-Orient a ouvert ses frontières aux réfugié·e·s et il y a actuellement 4 millions de réfugié·e·s en Turquie, dont 3,5 millions de Syrien·ne·s. Ces 4 millions de réfugié·e·s sont utilisé·e·s par le gouvernement comme une monnaie d’échange avec l’UE, mais on ne peut pas affirmer que l’état criminalise les réfugié·e·s, il les utilise.

Comment s’organise le soutien aux prisonnières·ers politiques ?

Dans les années 1990 le soutien au prisonnier·e·s politiques était très fort et très organisé, facilité notamment par le fait qu’il était possible de voir plusieurs personnes au parloir simultanément. Depuis 2005, le nombre de visites est très limité et seuls les membres de la famille nucléaire y sont autorisés ainsi que trois personnes. Les prisonnières·ers sont souvent détenu·e·s loin de leur famille rendant les visites rédhibitoires et chères pour les familles. Il y a certes des organisations de soutien aux prisonnières·ers et des organisations pour la défense des droits humains, mais ces organisations ont de plus en plus de problèmes à agir, car elles sont criminalisées. Actuellement par exemple, alors qu’une grève de la faim est menée en prison depuis plus de 100 jours par plusieurs centaines de prisonnier·e·s du PKK pour demander la levée de l’isolement qui pèse sur Abdullah Öcalan, cette grève de la faim n’a malheureusement que peu d’écho dans l’opinion publique. Le soutien le plus fort pour les prisonnières·ers politiques reste les liens de solidarité existant entre elles et eux à l’intérieur des prisons.

Propos recueillis par Hervé Roquet

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